Gens de chez nous

Roch CAMPANA

Un sous-officier de la Marine Royale

paru dans "Neptunus: revue maritime bimestrielle, n° 226, pp 25 à 32, mai 1991

par J. B. DREESEN traduit du Néerlandais par Pascal GILON corrigé et annoté par Eric LENS

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Jean Key devant l'entrée du port d'Ostende (P.Weyts)

ROCCO MARIO CAMPANA

Si vous êtes Ostendais, que ce soit de pure souche ou non, vous devez connaître les CAMPANA d'Ostende. Leur tradition maritime dans notre ville est vieille de quatre générations déjà. Remontons quelque peu la lignée.

Yves CAMPANA (° 09-10-1938), capitaine au long cours et pilote dans les bouches de l'Escaut, est le fils du capitaine au long cours bien connu, Robert Louis CAMPANA, qui géra en son temps la ligne Ostende-Tilbury. Robert Louis CAMPANA a encore deux autres fils, Guy (° 18-05-1936)et Roch (° 28-08-1943), qui sont toutefois restés à terre. Corinne, sa fille cadette (° 01-02-1948), habite toujours à Ostende.

Robert CAMPANA (1), "Captain Louis" ( deux ans comme matelot sur l'Avenir  ), comme on avait l'habitude de l'appeler, était le fils de François CAMPANA (2), mécanicien-conducteur (3) à la Marine, lui-même fils de Roch CAMPANA, et c'est ici que débute l'histoire des CAMPANA d'Ostende.

Retraçons tout d'abord brièvement l'histoire de la famille. Roch CAMPANA, fils de François (4) et d'Anna Maria SALEMI, est né au mois de novembre 1813 à Termini, dans la province de Palerme, dans le royaume de Naples (5). Il fut porté sur les fonds baptismaux le 20 novembre 1813 dans la collégiale de Saint-Nicolas à Termini, par Augustin SIABSI, fils de Michel et Françoise SALEMI, fille de Jérôme, et fut baptisé par Leonard MASCARI. II reçut le nom de Rocco Mario. François, le père, avait trois fils (6). C'était un petit armateur qui, au gré du temps et des circonstances, armait un ou deux bateaux. Son fils aîné naviguait sur l'un d'eux.

A l'age de quatorze ans à peine. Roch put, ou dut, prendre la mer, selon la coutume de l'époque. Fort d'une dizaine d'années d'expérience, il se retrouva à Anvers à la fin de 1836 à bord d'un bateau qui appartenait à son père et commandé par son frère aîné.

A propos de ce qui se passa à cette époque, on nage un peu dans le vague. Toutefois, un fait est certain : Roch demeura à Anvers car, le 7 avril 1837, il s'engagea comme matelot dans la Marine Royale pour un terme de deux ans. Il fut placé a bord de la canonnière n° 4.

A cette époque, la Marine Royale comptait généralement des matelots de 1ere, 2eme et 3me classe. Tout porte donc à croire que l'expérience acquise par Roch fut déterminante car il s'engagea comme matelot de l ère classe. Les canonnières, qui opéraient principalement sur l'Escaut, étaient encore considérées à ce moment-là comme étant en état de guerre avec les Pays-Bas, puisque ses fonctions de cambusier (7) à bord de la n° 4, Roch les remplit en temps de guerre pendant deux ans. Après ce terme, il signa un nouveau contrat d'une durée équivalente et passa sur la canonnière n° 6, toujours en qualité de cambusier. Ce contrat ne prit fin que le 30 avril 1841. Il en signa ensuite un autre, pour trois ans cette fois, à bord de la canonnière n° 12.

C'est vraisemblablement pendant cette période de 1837 à 1841 qu'il se maria pour la première fois, avec Anne-Maria CHARTON. Il devait toutefois perdre son épouse avant 1844, car on le retrouve veuf cette année-la. C'est sans doute ce premier mariage, dont nous n'avons retrouvé aucune autre trace, qui motiva sa décision de quitter le bateau de son père en 1837.

Sa première promotion au sein de la Marine Royale lui fut décernée le 15-02-1841(8): il passait "contre-maître de première classe". Cependant, cette fonction n'étant pas prévue sur la canonnière, il passa sur un brick d'Etat, le "Charles", au début du mois de mai 1842. C'était un vieux bateau, lent, difficile à manoeuvrer, et peu propice à la navigation en haute mer. Il appartenait à la compagnie Wattel, une société d'armateurs. Dans le cadre de la politique commerciale du gouvernement, il fut doté pour ses voyages d'un équipage militaire avec lequel il appareilla pour la première fois le 4 janvier 1840 sous les ordres du capitaine Jorgensen. II mit le cap sur Batavia et Manille.

Le 16 juin 1843, le "Charles" appareilla pour la seconde fois en direction de l'Extrême-Orient. Le bateau était placé sous les ordres du lieutenant de vaisseau Hoed, assisté de l'enseigne de vaisseau Debauche et des aspirants de première classe Ducolombier et Smis. Roch CAMPANA se trouvait à bord en qualité de contre-maître de première classe. Après des escales successives dans un port des îles Canaries et à Singapour, le "Charles" mit le cap sur Manille via le passage de l'Est. Dans la nuit du 16 février 1844, au large des côtes de Bornéo, à l'embouchure d'un fleuve nommé le Goot, le bateau s'échoua sur un banc de sable omis sur la carte. Au matin, complètement immobilisé, il fut attaqué par 24 praos (9), remplis de pirates armés jusqu'aux dents. Le "Charles" ne put se défendre, ses deux canons réels étant hors d'usage, et les quatorze autres n'étant que des canons factices en bois. L'équipage n'eut d'autre recours que de s'embarquer à bord des trois chaloupes et de tenter de gagner la côte.

Sans argent, ne disposant que de quelques jours d'eau et de provision, l'équipage fit route vers Macassar. Située a 250 miles, c'était la seule implantation européenne qui puisse offrir un refuge. Le périple à bord des chaloupes dura dix jours et s'avéra très éprouvant. A Célèbes, l'équipage réussit à se procurer de l'eau, malgré la menace des indigènes. Le 26 février 1844, les chaloupes atteignirent Macassar. Le gouverneur, de Perez, un officier de la Marine Royale hollandaise (Bruxellois de naissance), les reçut avec la plus grande hospitalité. La Belgique allait lui témoigner toute sa gratitude pour ce geste en le nommant Officier de l'Ordre de Léopold, tandis que deux autres officiers hollandais étaient faits Chevaliers de l'Ordre de Léopold.

Quelques jours plus tard, une escadre de bâtiments de guerre hollandais accosta dans le port. Apprenant les péripéties du "Charles", le commandement de l'escadre organisa une expédition punitive contre les pirates. Une corvette à vapeur, deux bricks, trois goélettes, et une canonnière, soient 250 hommes d'équipage au total, furent engagés dans l'opération. Les Belges se portèrent volontaires pour participer à l'expédition et prirent place à bord de la corvette à vapeur "Ekla". L'expédition punitive dura 40 jours. La ville de Tingarong fut envahie et mise à feu. Les deux vieux canons du "Charles", ainsi que les biens qui se trouvaient à bord, furent récupérés.

Le 8 mai 1844, l'équipage du "Charles" s'embarqua sur le "Dorothée", bâtiment hollandais, qui les mena à Batavia, ou ils accostèrent le 16 mai. La, ils montèrent à bord d'un trois-mâts anglais de 600 tonnes, le "Royal Consort", sur lequel ils allaient effectuer le voyage de retour vers l'Europe. Cinq jours après leur départ de Batavia, le navire se mit à prendre l'eau et dut accoster en toute hâte aux îles Cocos pour réparations. La brèche fut provisoirement colmatée et le navire remit les voiles. Quelques jours plus tard, il reprit l'eau. Il mit cette fois le cap sur l'île Maurice, ou des réparations plus solides furent effectuées. De la, via Sainte-Hélène, le navire gagna l'Angleterre ou l'équipage du "Charles" prit place à bord du "Soho" pour être rapatrié. Le voyage avait duré 27 mois. De retour au pays, les membres d'équipage se virent contraints de garder le silence et connurent toutes les peines du monde pour être dédommagés de la perte de leurs effets personnels et de leur équipement.

Ce voyage fut sans doute la goutte qui fit déborder le vase pour Roch CAMPANA, car, le 9 novembre 1844, il quitta la Marine Royale et partit en congé définitif. II commençait aussi à se lasser d'être veuf et célibataire, puisque le 27 novembre 1844 il épousa à Anvers une brodeuse de la ville. Maria DAELMANS, de quatre ans sa cadette. Il prit du service à bord d'un trois-mâts belge, le «  Jean Key «  et effectua deux voyages à La Havane (Cuba), en 1845 et 1846. La destination traditionnelle de ce bateau (qui portait le nom du propriétaire de navires Jean Key 1771-1846, un Anversois), comme celle des autres bateaux de cette compagnie d'armateurs, était le Brésil et les Caraïbes. II fut, entre autres, impliqué dans un incident à La Havane en 1831 alors que, pour la première fois, son capitaine arborait dans ce port le pavillon belge.

II doit cependant être écrit quelque part que Roch CAMPANA (ou sa femme) n'était pas fait pour la marine marchande, car, le 17 juillet 1846 (10) il reprit du service dans la Marine Royale. Cette fois, il s'engagea pour 6 ans et fut muté à bord de la canonnière n°11 en tant que matelot de 1ere classe. Son séjour près de chez lui fut néanmoins de courte durée car, trois mois plus tard, en septembre 1846, il dut s'embarquer en direction de Singapour et Manille comme matelot-voilier à bord d'un trois-mâts, l'"Emmanuel". Ce voyage dura pratiquement un an, car ce n'est que le 29 juillet 1847 que le bateau fut de retour à Anvers.

Le 1er septembre 1847 (11) Roch fut promu quartier-maître, avec une solde de 45 francs par mois. Le 3 novembre 1847, il prit la direction de Batavia, toujours sur l'"Emmanuel". Ce voyage, terminé le 10 septembre 1848 (12) est raconté dans le livre "Souvenirs" écrit et publié par le commandant en second Ducolombier.

Mais la Marine Royale ne réservait à ses marins que bien peu d'occasions de souffler. Roch venait à peine de passer sur le "Louise-Marie", en décembre 1848, lorsque celui-ci, mis sur pied de guerre, appareilla pour la côte occidentale de l'Afrique, Gorée et Rio Nunez Le départ eut lieu le 31 décembre 1848. Les 62 hommes d'équipage étaient commandés par le lieutenant de vaisseau Van Haverbeke. Après des escales à Ilha Salvage, aux îles Canaries, à Argunbone et aux îles du Cap Vert, le navire jeta l'ancre le 22 janvier 1849 à Gorée, ou mouillait déjà une série de bâtiments parmi lesquels les frégate et corvette françaises "Pénélope" et "La Recherche", deux bateaux à vapeur et un navire hôpital. L'ensemble de cette escadre était commandée par Bouet de Willaumez. Le trois-mâts gantois "Emma" se trouvait là lui aussi, car ses capitaines, messieurs Witteveen et Cohen, avaient des affaires à régler à terre.

II faut préciser ici que le commandant Van Haverbeke avait déjà effectué au printemps un voyage à Rio Nunez sur le "Louise-Marie". Là, avec Lamina, roi de la région, il avait conclu un accord pour la construction d'une usine belge sur une bande de terrain s'étalant sur 1 mile de part et d'autre des rives de Rio Nunez. Cet accord ne dut pas plaire au commandant Bouet de Willaumez de la Marine Française: ce dernier caressait en effet d'autres projets pour la région. II fut des lors très mécontent a l'égard de Van Haverbeke pour l'accord passé par ce dernier avec Lamina, ce qui provoqua un incident entre les deux hommes lors de leur rencontre au point d'ancrage. Mais le commandant Van Haverbeke ne s'en formalisa guère et continua simplement d'exécuter sa mission, celle de consolider l'accord passé avec Lamina.

Le 27 janvier 1848, le "Louise-Marie" se trouvait à Dakar, le 29 à Bathurst, et le 5 février, il jeta l'ancre à Rio Nunez. En remontant le fleuve, le "Louise-Marie" s'enlisa, mais, grâce à ses chaloupes, on put le débloquer. Le 12 février, le roi Lamina monta à bord et demanda qu'on l'aide par des moyens militaires à régler le différend qui l'opposait à un autre souverain local. Il s'agissait bien la d'une affaire interne, mais le commandant Van Haverbeke prit immédiatement les mesures nécessaires pour venir en aide au partenaire de la Belgique. Un détachement du Louise-Marie prit place dans les chaloupes, débarqua à Debokké et s'interposa dans le conflit entre Lamina et son rival, un nommé Majoré.

Le 27 février, la corvette anglaise "Favorite" entra dans le port avec une note de protestation au sujet de l'accord belge conclu avec le roi Lamina. Van Haverbeke parvint cependant à régler ce problème. Le même jour, la corvette française "La Recherche" fit, elle aussi, son apparition dans le port. Son commandant prit contact avec le commandant du "Favorite" et apprit que les indigènes avaient sollicité l'aide du "Louise-Marie" contre Majoré. Entre noirs des deux groupes, de nouvelles difficultés apparaissaient. Van Haverbeke entraîna son équipage au tir et envoya deux messages, l'un à Majoré et l'autre au marchand anglais, les menaçant d'organiser un blocus.

Le 8 mars, le commandant du "Louise-Marie" et le commandant du "La Recherche" se rencontrèrent. Le lendemain. le commandant du "Louise-Marie" fut averti du départ d'un peloton de débarquement du "La Recherche". Sur ce, le "Emma" jeta l'ancre en rade de Rapass. Ducolombier et Mestreem se rendirent à Debokké pour ramener Majoré à de meilleurs sentiments, ce qui leur réussit provisoirement.

Le 11 mars 1849, le détachement de débarquement Belgo-Français se mit en route et accosta a Debokké. Des pourparlers s'engagèrent avec Majoré. après quoi le détachement se retira. Le lendemain, le "La Prudente" entra dans le port, chargée de contrecarrer les plans belges. Finalement, les deux camps parvinrent toutefois à se mettre d'accord. Les Français furent informés de l'entêtement de Majoré, qui persistait dans sa colère, après quoi le "Louise-Marie" s'en alla jeter l'ancre devant Rapass. Sommés de partir, les marchands anglais présentèrent alors une série de propositions qui furent néanmoins rejetées. Les belges décidèrent alors d'armer l"Emma" et le "La Dorade". Le commandant du "Louise-Marie" reçut une lettre des Anglais dans laquelle ceux-ci annonçaient leur refus de partir et rendaient les Belges responsables de tout dommage éventuel.

Le 21 mars, cinq chaloupes transportant 130 hommes du "La Recherche" et du "La Prudente" longèrent le "Louise-Marie". Leurs occupants montèrent à bord du "La Dorade". Le lendemain, l'expédition, menée par le "Louise-Marie", fit route vers Debokké. La, ils obligèrent les deux marchands anglais à se constituer prisonniers de guerre. Le 24 mars, les Belges et les Français ouvrirent le feu et procédèrent à un débarquement. Après une heure, tout était réglé. Les combats avaient fait sept blessés au total.

Le jour suivant. les bateaux levèrent l'ancre et descendirent le fleuve. Sur la rive, quelques coups de feu furent encore tirés ça et là. Ils firent encore quelques blessés à bord du "Louise-Marie". Le 2 avril 1849, le "Louise-Mane" appareilla pour Katecoma, ou un accord avec Tongo fut signé quelques jours plus tard. Il partit le 8 avril pour entrer à Gorée le 23 avril. C'est là que le commandant Van Haverbeke rencontra le commandant français Bouet qui lui fit part de son profond mécontentement quant à l'action menée par les Belges. Cela n'eut pourtant guère d'effet sur Van Haverbeke.

Le 3 mai 1849, il reprit la direction de la Belgique ou il arriva le 17 juin (13). Le repos de Roch CAMPANA au pays, après ce voyage mouvementé, ne fut toutefois que de courte durée, car le 10 juillet 1849, le "Louise-Marie" passa sous les ordres du capitaine-lieutenant de vaisseau Petit, et le 9 août (14), il partit pour une croisière en Mer du Nord qui se prolongea jusqu'au 26 septembre.

En octobre 1849 (15) Roch reçut une promotion : il fut nommé contre-maître de troisième classe.

Le 25 novembre, le commandant Van Haverbeke reprit le commandement du "Louise-Marie", qui leva l'ancre d'Ostende le 24 février 1850 pour un voyage en Afrique occidentale. Ce voyage fut très rapide; le 21 mars, le bateau était à Gorée. Le 29 mars, il jetait l'ancre à Rio Nunez.

Sur place, une guerre civile faisait rage. Les marchands du comptoir commercial avaient espéré que les Belges arriveraient avec un équipage suffisant pour remettre les choses en ordre. Mais, conséquence du laxisme et du désintérêt de nos politiciens nationaux, Van Haverbeke n'avait pu disposer des moyens ou de la puissance nécessaires pour apporter un remède réel à la situation.

C'est sans avoir enregistré de résultat notable que le "Louise-Marie" entama son voyage de retour le 25 avril pour arriver à Anvers le 3 juin 1850 (16). Une fois de plus, le repos fut de courte durée pour Roch. Petit reprit le commandement du bateau et celui-ci partit le 15 juin (17) pour une garde-pêche en Mer du Nord qui prit fin le ler septembre 1850.

Des difficultés étaient apparues au sein de la colonie belge de Saint-Thomas de Guatemala. La colonie sombrait petit à petit, et le passif était considérable. Quelques colons qui étaient parvenus à rentrer au pays se chargèrent de provoquer une réaction dans l'opinion publique. Le consul et le commissaire d'Etat sur place demandèrent la présence d'un corps de guerre de façon à calmer quelque peu les esprits.

Commandé par Petit, le "Louise-Marie" mit le cap sur la colonie belge de Guatemala le 22 décembre 1850 (18), avec à son bord notre Roch CAMPANA en qualité de contre-maître. Le voyage et le séjour furent longs car le bateau ne rentra à Anvers que le 17 août 1851. Lentement mais sûrement, notre Roch grimpait dans l'échelle hiérarchique : le ler septembre 1851 (19), il passait contre-maître 2e classe.

Sur le front colonial africain aussi, les choses se gâtaient une fois de plus, et la présence du "Louise-Marie" fut réclamée à Rio Nunez. Le commandant Van Haverbeke reprit le commandement du bateau, et, le 31 décembre 1851 (20), le "Louise-Marie" leva l'ancre à destination de la côte occidentale de l'Afrique. Roch CAMPANA, en tant que contre-maître, n'était pas dans sa spécialité. A cause du mauvais temps, le bateau dût tout d'abord ancrer a Deal et accoster ensuite à Falmouth en raison d'une avarie au gouvernail. Dès lors, Roch n'eut plus l'occasion de se tourner les pouces, car la réparation de cette avarie entrait dans ses compétences.

L'île de Gorée fut atteinte le 27 février 1852. La, une lettre du consul Bols attendait le "Louise-Marie", le réclamant en toute hâte au Rio Nunez. II mit les voiles sans perdre de temps, et, le 4 mai, il était sur place. Une fois de plus, des combats avaient éclaté entre deux tribus locales, les deux plus importantes, avec toutes les conséquences qu'entraînaient ces combats pour les colons belges. Le premier souci du commandant Van Haverbeke fut de négocier. Mais sa mission de négociateur fut fortement entravée par le fait qu'il ne disposait pas d'un équipage ni d'un armement suffisants, et ne pouvait donc exercer la moindre force de pression. Après des palabres interminables, il fut obligé d'entamer le voyage de retour sur des résultats peu convaincants.

Le 15 juin 1852. le "Louise-Marie" était de retour en Belgique, en temps voulu pour la garde-pêche annuelle en Mer du Nord.

Apres cette mission, le bateau repartit vers l'Afrique, le 23 janvier 1853, sous les ordres du commandant Petit cette fois. Le but du voyage était de maintenir des contacts sur place et de rassembler des informations militaires et commerciales. Le 23 juillet 1853, le bateau était de retour a Ostende.(20)

En août 1853, Roch CAMPANA partit avec le "Louise-Marie", toujours en tant que membre d'équipage, pour une garde-pêche aux abords des îles Shetland. Un voyage qui dura jusqu'en septembre.

A son retour. Roch CAMPANA fut breveté (21), ce qui l'amenait à être considéré déjà comme un membre à part entière du cadre professionnel des sous-officiers.

Pendant ce temps, les colons d'Afrique n'en finissaient pas de demander l'assistance d'un bateau de guerre. C'est le "Louise-Marie" qui, le 20 novembre 1853, appareilla pour la côte ouest de l'Afrique pour remplir cette mission. Ce voyage permit au navire et à son équipage d'accoster en divers lieux qui, jusque la n'avaient jamais vu le moindre bateau battre pavillon belge. II fut également marqué par les deux tornades qu'essuyèrent l'équipage. C'est toutefois sans dommages que le bateau rentra à Anvers le 2 juillet 1854.

La mise en service du "Duc de Brabant" procura un peu de répit au "Louise-Marie" et à son équipage. Après son retour du 2 juillet 1854, une année calme débuta, au cours de laquelle on ne situe qu'une garde-pêche en Mer du Nord, en juillet, août, et septembre 1855.

Le ler octobre 1855. Roch CAMPANA fut promu contre-maître de manoeuvre.

Le 2 avril 1856, Roch embarqua, encore et toujours à bord du "Louise-Marie", pour une visite à la colonie belge de Rio Nunez. sur la côte ouest-africaine. Ce voyage allait durer jusqu'au 13 août (22), date à laquelle il rentra au port d'Anvers. Ce fut le dernier voyage du "Louise-Marie". Il signifiait aussi pour Roch CAMPANA la fin de sa période de navigation en haute mer.

A ce moment, nous le perdons quelque peu de vue, mais nous le retrouvons lors de sa nomination comme maître de manoeuvre de 2e classe le 30 avril 1862.

Après celle-ci, il fut immédiatement muté vers les Malles Belges de l'Etat. En effet, par décision gouvernementale, le terme "Marine Royale" fut supprimé et remplacé par "Marine d'Etat". La marine de guerre belge avait cessé d'exister. La plupart des officiers, sous-officiers, et membres d'équipage rentrèrent dans la vie civile ou intégrèrent les services civils. Le gouvernement donna aux malles de la ligne Ostende-Douvres un certain caractère militaire, et une partie du personnel militaire fut affecté sur cette ligne. Ce fut, entre autres, le cas de Roch CAMPANA. Dorénavant, il se retrouvait plus régulièrement chez lui car les trajets de la ligne Ostende-Douvres étaient plus courts.

Le 15 septembre 1863, pour ses merites dans la Marine Royale, on lui décerna, en témoignage de la Reconnaissance Nationale pour son courage, son dévouement et son humanité en mer, la Médaille de Première Classe. Le 14 juillet 1866, Roch CAMPANA fut nommé maître de manoeuvre de première classe ; son salaire mensuel s'élevait a 147,91 francs. II effectua sous ce grade divers services sur les paquebots.(23)

Malgré de ses nombreuses années de service dans la Marine Royale, sa nationalité était toujours italienne. Voilà pourquoi il demanda la naturalisation belge qui lui fut accordée par arrêté royal le 29 janvier 1871. I1 se présenta à cet effet devant le Collège des Bourgmestre et Echevins de la ville d'Ostende le 9 février 1871, ou fut dressé un proces verbal d'acceptation (24).

II ne nous a pas été possible de retrouver la date du décès de sa deuxième épouse, mais l'on sait que le 21 janvier 1874, il contracta un troisième mariage, avec l'Ostendaise Hélène Suzanne Marie CANDAEL (25). Le mariage religieux fut célébré le même jour en l'église Saint-Pierre et Paul d'Ostende. Son épouse était de 40 ans sa cadette. Elle lui donna quatre enfants. un fils et trois filles, qui naquirent respectivement en 1874 (Franciscus Amandus)(2), 1876 (Anna-Maria, Suzanne) (26), 1878 (Marie Rosalie Jeanne) (27) et 1883 (Léonie Marie) (28). Le jeune couple s'installa à Ostende, au n° 16 des Trois-Fontaines. II déménagea probablement pour Anvers par après, car c'est la que naquit l'aîné de leurs enfants. Les deux suivants naquirent à Vilvorde, et le dernier à Ostende.

Par arrêté royal n° 667 du 8 février 1874, Roch CAMPANA fut nommé Chevalier de l'Ordre de Léopold. Son nom fut inscrit dans le Grand Livre sous le numéro 698 pour une pension annuelle, liée à cette distinction, de 100 francs. A cette occasion, le capitaine lieutenant de vaisseau Dufour, chef supérieur du service des malles-postes à Ostende, l'un de ses anciens commandants dans la Marine Royale, lui adressa une lettre dans laquelle il lui annonçait sa distinction et lui transmettait ses félicitations pour celle-ci.

C'est vers cette époque que Roch CAMPANA demanda sa pension pour "age avancé et ancienneté de service", qui lui fut accordée avec effet à partir du 16 mars 1874. Il comptait à ce moment-là pratiquement 36 années de service effectif dans la marine. Le fait qu'il ait été enrôlé en temps de guerre (1839,1849, et 1870-71) lui valut un bonus de trois ans. Celui d'avoir été enrôlé en temps de paix pendant un total de 31 ans, 5 mois et 3 jours lui valut un bonus supplémentaire de 15 ans, 8 mois et 17 jours (la moitié du temps passé a bord). Il comptait donc un total de "54 ans de services admissibles pour la pension", ce qui lui assurait une pension annuelle de 660 francs. A cela s'ajoutaient les 100 francs par an reçus en tant que détenteur du titre de Chevalier de I'Ordre de Léopold, ce qui lui donnait droit, au total, à 760 francs.

Nous ne sommes pas parvenus à connaître les raisons qui poussèrent le jeune couple à déménager à Anvers et ensuite a Vilvoorde. Toutefois, le 12 février 1881, nous les retrouvons inscrits comme habitants d'Ostende, rue Saint-Georges n° 22.

Roch CAMPANA conservait vraisemblablement des contacts réguliers avec d'autres vétérans de la Marine Royale. Ainsi en témoigne une lettre de son ancien commandant Dufour, dans laquelle ce dernier le remercie pour les bons voeux que Roch lui avait envoyés à l'occasion de ses 50 ans de service. La Marine non plus ne l'avait pas oublié, puisqu'en 1896. Roch reçut, en tant que Premier-Maître, la Médaille Commémorative décernée à l'occasion des 50 ans d'existence de la ligne Ostende-Douvres.

Le 31 mai 1898, la famille CAMPANA emménagea rue d'Amsterdam, n° 31. C'est dans cette maison que Roch CAMPANA décédera le 2 juillet 1899, au bel age de 86 ans, après une vie de marin bien remplie. Son épouse le suivit quatorze ans plus tard, en 1913(25).

Voilà donc l'histoire de ce simple sous-officier de notre première marine de guerre nationale, qui sut forcer l'admiration de tous ses supérieurs par ses états de service.

Sources :

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-Dossier personnel et état de service de Roch CAMPANA, Maître de Manoeurvre de Première Classe de la Marine Royale

-Louis Leconte : "Les ancêtres de notre Force Navale": MDN, 1952

Notes :

Documents de référence concernant Roch CAMPANA :

AB = Acte de baptème

CM = Carnet de Mariage avec Hélène CANDAEL

ES = Etat de Service

LM = Livret de Marin

PV = Procès Verbal d'acceptation de naturalisation

(1) Robert Louis CAMPANA : né à Ostende le 31-08-1911

(2) Franciscus Amandus (François Amand) CAMPANA : né à Anvers le 22-12-1874 (CM)

(3) Sur sa carte de visite, il est inscrit : "Officier Méc.-Chef retraité de la Marine d'Etat".

(4) Francisco CAMPANA (AB)

(5) Roch Mario CAMPANA : né le 19 novembre 1813, et baptisé le 20 à Termini (AB) Termini est une petite ville de la côte nord de la Sicile, située a environ 35 km de Palerme. A cette époque, la Sicile faisait partie du Royaume de Naples.

(6) L'un des deux autres fils s'appelait Agostino.

(7) Cambusier: membre de l'équipage chargé de la gestion de la cambuse, magasin du navire contenant les vivres et le vin.

(8) C'est le 15 février 1842 qu'il passe contre-maître de première classe, sur la canonnière n° 12. (ES)

(9) Prao : bateau de Malaisie à balancier unique, conçu pour pouvoir naviguer dans les deux sens.

(1O) Selon son LM sur la canonnière n° 11, c'est le ler juillet 1846.

(11) Le ler septembre 1847 d'après son ES, mais le ler septembre 1848, d'après son LM sur la canonnière n° 11

(12) L'ES indique son retour des Indes en août 1848.

(13) A Anvers (ES)

(14) Le départ eut lieu le 6 août, et non le 9. (ES)

(15) Roch CAMPANA est nommé contre-maître de 3e classe le ler décembre 1849, et non en octobre (ES)

(16) Retour le 4 juin, et non le 3 (ES)

(17) Départ le 12 juin, et non le 15 (ES)

(18) Toujours d'après l'ES; départ le 20 décembre.

(19) L'ES indique le ler novembre 1851.

(20) L'ES indique un départ pour la côte occidentale de l'Afrique (Gorée et Rio Nunez) le 20 novembre 1851 ; retour en mai 1852. Nouveau départ, pour les mêmes destinations, le 20 décembre 1852, et retour en juillet 1853.

(21) Roch CAMPANA est breveté en novembre 1853 d'après son ES, le 17 octobre d'après son LM sur la goélette "Louise-Marie".

(22) Retour le 14 septembre. (ES)

(23) Roch CAMPANA fut encore attaché à divers services à partir de 1872, mais sans qu'il soit précisé lesquels. (ES)

(24) C'est à dire qu'il s'est présenté devant le Collège pour déclarer son acceptation de la naturalisation ordinaire qui venait de lui être accordée par l'acte législatif du 29-01-1871. (PV)

(25) Hélène CANDAEL : née à Ostende le 24 octobre 1853 et décédée à Comines le 29 mai1913. (CM)

(26) Anne Marie Suzanne CAMPANA : née le 11 juin 1876. (CM)

(27) Marie Rosalie Jeanne CAMPANA : née le 15 août 1878 et probablement décédée en bas age. (CM)

(28) Léonie-Marie CAMPANA : née le 3 octobre 1883. (CM)

 

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